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Daredevil v.II: Guardian Devil (# 1-8 + # 1/2)

 

Caractéristiques:

Scénario: Kevin Smith
Dessin: Joe Quesada
Encrage: Jimmy Palmiotti
Couleur: Richard Isanove & Avalon Studios

Correspondance VF:

VO # 1-4 Marvel Knights # 1-4 Marvel 100% 1
VO # 5-8 Marvel Knights # 5-8 Marvel 100% 2
VO # 1/2 Marvel Knights # 9

 

  Avis perso:

La Note: 18/20
Le Mot: Fantastique.
Le Texte:
Cette saga est certainement l'une des plus belles jamais produites dans l'histoire du comics. Je lui consacre à ce titre l'article (plutôt long, je le confesse...) qui suit. Bonne lecture!

 

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Présentation:

Je n'entend pas ici retracer les antécédents du héros vieux de plus de 35 ans, car ce n'est pas l'objet de cet article (et j'en serais d'ailleurs proprement incapable) ; je vous recommande plutôt d'effectuer une rapide visite de la rubrique consacrée sur le site de Reivax.

Je rappellerai donc seulement que Matt Murdock, alias Daredevil, est un homme assoiffé de justice qui bien qu'aveugle possède des sens à l'acuité phénoménale. Le personnage, créé en 1964 par Stan Lee et Bill Everett a subi depuis ses origines maints remaniements, et a vécu dans les années 80 l'une des plus belles sagas de l'histoire (à droite) du comics sous la plume du maître Frank Miller (Batman, Sin City, ...).

Alors que le personnage était en perte de vitesse depuis quelques temps, c'est ici le cinéaste Kevin Smith (Clerks, Dogma, ...) qui s'est attelé à son relauch sous la bannière Marvel Knights, offrant à nouveau à l' "Homme sans Peur" de vivre l'une des meilleures sagas du comics. Celle-ci va faire s'écrouler progressivement la vie du héros et de son entourage, un drame bouclant en apothéose les problèmes du héros, pour finalement aboutir à une surprenante révélation quant à l'origine de ces évènements. La saga offre par la même occasion au héros un nouveau départ, le lavant des différentes contraintes scénaristiques l'astreignant jusqu'ici, tout en lui donnant une nouvelle profondeur, et de nouveaux rapports avec son entourage. C'est donc une fabuleuse saga que je vous invite à lire et relire, et que je vais maintenant tenter d'analyser à sa juste valeur.

 

Analyse:

Attention: L'article qui suit est réservé aux personnes ayant déjà lu le titre, et je recommande donc aux autres de reporter cette lecture à plus tard afin de ne pas leur gâcher le plaisir de cette fabuleuse saga.

Un graphisme à succès:

Je dois le dire: en général, je n'aime pas Joe Quesada. Hormis les couvertures, pour lesquelles il s'applique énormément, ses dessins dans un comics me rebutent: qu'il dessine les visages, qui m'apparaissent alors véritablement hideux (regardez la tête qu'il dessine au pauvre Peter Parker dans le # 8!), ou les personnages eux-mêmes, en leur donnant la carrure de gamins prématures (allez voir vite fait ses pages dans Ash # 1/2 - VF # 4), ses dessins ne m'accrochent décidément pas.

Pourtant je dois dire qu'il s'est considérablement amélioré depuis Ash, et surtout que bizarrement, son style ne m'a absolument pas dérangé dans Daredevil, bien au contraire. En fait, j'ai le sentiment que Quesada était fait pour dessiner DD! Le costume rouge de DD, ses expressions de rage, et surtout sa canne-lasso collent parfaitement au style de Joe, de même que ses versions de Matt, Foggy et Karen, qui sont selon moi parmi les meilleures jamais produites. De plus, l'encrage de Palmiotti, comme toujours excellent, s'accorde très bien avec ce style, ainsi que les superbes couleurs informatiques de Richard Isanove (Cocorico!) et consorts.

Tous ces artistes font donc de cette série un titre au graphisme excellent, malgré tous les préjugés que j'ai pu fonder sur le simple nom de Quesada avant la lecture du premier épisode, et cela constitue selon moi la première brique du monument qu'est cette saga, le reste tenant au génialissime scénario de Kevin Smith, et à tous ses constituants en particulier.

 

Coups de pub et Hommages:

A travers toute la saga, Kevin Smith use à loisir d'un procédé que je nomme "références" (apparition dans le comics d'un détail sans rapport direct avec l'histoire, mais faisant référence à la réalité, à un autre comics, ...). Si Smith l'utilise abondamment pour se faire de la pub en faisant apparaître ses films et personnages, il l'emploie également énormément pour rendre hommage à tous ses talentueux prédécesseurs, artistes comme scénaristes.

Smith utilise ainsi dès qu'il le peut les panneaux publicitaires ou les murs vides pour faire apparaître ses créations ou celles de ses collègues. On voit ainsi régulièrement apparaître le logo Event dans la rue, un tableau de Kabuki dans le bureau de Murdock, ou les deux personnages fétiches de Smith: les fameux Jay & Silent Bob, personnages récurrents de ses films, et héros de leur propre comic-book chez Oni Press, Silent Bob étant en fait Kevin Smith lui-même. Si Jay se permet dans le # 4 une critique du livre de Bullseye au dos de la couverture: "Trop de blabla, man.", Bob apparaît lui à l'enterrement de Karen, sous les traits de Kevin, de même que Joe Quesada, Jimmy Palmiotti, Alitha Martinez, et Ash! C'est également le dernier film de Smith: Dogma, qui se trouve à l'affiche d'un cinéma apparaissant à plusieurs reprises derrière Foggy.

Par ailleurs, Smith emploie de façon similaire cette technique pour rendre hommage à tous les grands noms ayant travaillé sur le personnage, ainsi qu'à d'autres grands du comics. Ainsi, il nous montre un Mysterio oeuvrant aux côtés d'un livre intitulé "The art of Kirby" (# 7) (d'où un contraste certain!), propose à Clark Kent de présenter le JT (# 8), offre à Macabes le look de Nolan, le héros de la Big City du grand Will Esner, et offre à divers produits les noms de ses amis dessinateurs: "Officer [Joe] Jusko's" ou encore "Drink [Steve] Dillon". De plus, comme Ash, Quesada Palmiotti et Smith, ce sont Stan Lee, Bill Everett et Frank Miller que l'on peut voir sur la droite lors de l'enterrement de Karen (# 8, à droite). Mais c'est surtout au travers de tags inscrits sur les murs que Kevin agit: se mêlent ainsi sur certains des références évidentes telles que "Who watches the Watchmen?" (Watchmen d'Alan Moore), des grands noms tels que [Ann No]centi, [David] Mazz[ucchelli], [Frank] Miller, et J[ohn] R[omita] J[unior], ou encore des cœurs contenant les initiales de Joe, Jimmy et Kevin avec celles de leurs épouses respectives. Frank Miller, dont l'histoire est d'ailleurs fortement reprise dans la saga, fait également l'objet d'une superbe variant cover (du # 5), dessinée dans son style par Quesada.

Tout ceci vaut à Kevin de recevoir les hommages de David Mack, son successeur au scénario de DD, qui le lui rend bien, puisqu'il reproduit dès le # 9 le même mur avec quelques ajouts de son cru, et tout particulièrement ceci: "Bill E[verett] is the man !!! Stan [Lee] rules Frank [Miller] was here Kevin [Smith] was here David [Mack] is here!", plaçant ainsi Smith au même rang que les principaux créateurs de Daredevil.

Enfin, il me semble que Kevin a également tenté dans son récit, de rendre un hommage certain à l'excellent travail de Miller sur le personnage, reprenant très fortement certains points, qui constituent les fers de lance du scénario et que nous allons tenter d'analyser: le rôle de Bullseye, la destruction progressive de la vie de Matt, et la mort d'un de ses grands amours.

 

Bullseye à nouveau sublimé:

Bullseye m'est toujours apparu comme un vilain de second voire dernier rôle. Un personnage capable de viser à la perfection, et toujours vaincu sans grande difficulté par Daredevil et autres Spiderman ne présentait pas de grand intérêt... Pourtant, son intensité avait complètement gagné en profondeur sous Miller, ce dernier l'ayant directement propulsé au rang d'Ennemi N°2 de DD après le Caïd. En effet, Bullseye avait alors été à l'origine du plus grand drame jamais vécu par le justicier en assassinant froidement la ninja grecque Elektra, grand amour de Murdock. Le lanceur, vilain de bas étage, avait alors jouit d'un repositionnement certain dans l'échelle des dangers, de même que le Green Goblin pour Spiderman lorsqu'il tua Gwen Stacy.

Mais depuis, le vilain avait relativement disparu de la surface, se replaçant en quelque sorte à son niveau initial, jusqu'à ... aujourd'hui. Durant la très courte durée de sa prestation (moins de 15 pages entre les # 4 et 5), le personnage est complètement sublimé, et atteint une intensité encore inégalée. Son apparition d'abord avec l'épisode du trombone est fantastique et révèle une ampleur immédiate (# 4, à gauche). Le personnage est ensuite exploité au mieux de ses capacités, Smith lui conférant une véritable stratégie (diversions, actes réfléchis, ...), à laquelle sa barbarie (massacre du foyer à coups de couverts, de plateaux et de rosaires!) s'ajoute pour en faire un assassin parfait, dont la mission ne saurait être gênée par qui que ce soit, pour finalement disparaître en apothéose, enlevant à Murdock, une seconde fois, son plus grand amour, en la personne de Karen Page, un personnage secondaire du plus haut degré, vieux de plus de 35 ans!

Smith a ainsi rendu à l'assassin sa profondeur perdue, et lui en donne même une nouvelle plus grande encore, qui lui vaut peut-être même de voler la vedette au grand orchestrateur des problèmes de Daredevil, le méchant présumé de l'histoire: Mysterio, entre gloire et ridicule.

 

Mysterio: la photocopieuse humaine qui rêvait gloire!

A l'inverse de Bullseye, qui avait déjà jouit dans le passé d'une certaine profondeur, Mysterio n'est jamais apparu depuis ses débuts comme un vilain très intéressant. Que ce soit ses costumes ridicules (pour citer Fisk dans le # 1/2: "le triste spectacle offert par le personnage en collant vert et en cape pourpre dont les épaules supportaient un aquarium" !), ou ses quotidiennes défaites face à Spiderman ou même les enfants du Power Pack, Quentin Beck le soi-disant génie, n'a certainement jamais vécu la gloire qu'il escomptait.

Dans cette saga, Smith va clore (pas définitivement puisque bizarrement, Mysterio est réapparu par la suite dans Spiderman!) la triste existence de ce vilain sans intérêt, en produisant une analyse très fine du personnage, qui oscille entre son désir de succès et son ridicule inné. Au cours de ses apparitions sous le visage de Nicholas Macabes, on peut le voir rechercher le respect que personne n'a jamais eu pour lui: il a élaboré une stratégie pendant un an, a investi une fortune, et s'est retrouvé dans la peau de ce personnage haut placé qu'est Macabes, pour apparaître comme un "boss" que ses sbires appelle "Sir" et qu'il fait tuer sans vergogne. Alors qu'on ignore encore sa véritable identité, divers indices sont disséminés par-ci par-là, et dans le # 4, il montre ce désir inassouvi de gloire: "et ils murmureront tous mon nom en tremblant et non plus en ricanant", qu'il finira par avouer au grand jour à Daredevil dans le # 7, dans un ultime désir de narrer sa triste vie: "C'est à pleurer" reconnaît-il lui même! Il faut d'ailleurs avouer que son apparition à la fin du # 6, en une entrée qu'il qualifie de "théâtrale" (# 6 à droite), frise véritablement le ridicule. Pourtant, dans cette ultime narration, lorsqu'il se place en génie incompris, au dessus de Spielberg, Lucas et Cameron, puis qu'il expose en détail toutes les étapes de son ingénieuse machination, lui donnant une dimension tragique encore amplifiée par l'apparition de son visage complètement détruit par la maladie, on est presque prêt à l'acclamer, et il s'est mis le lecteur dans la poche, ce dernier confirmant presque son dernier espoir: "Je suis un artiste".

C'est alors que Daredevil, par quelques paroles bien placées le détruit complètement, en le replaçant dans son rôle de barbare et de metteur en scène d' "un film de série B, un mélange de clichés répugnants et usés", pour finir par lui voler toute sa vie en le traitant de "Xerox humain" (Xerox est une des plus grandes marques de photocopieuses!). Mysterio comprend alors qu'il ne pourra jamais atteindre la gloire tant désirée, et met fin à ses jours. Mais même dans ce tragique instant, Smith lui refuse la moindre grandeur, le plaçant là encore en copieur, ici du suicide de Kraven le Chasseur. Il n'arrache d'ailleurs aucune larme à DD ni même à un bébé, et inspire seulement le trouble chez Spiderman, vite oublié, car comme le souligne sa femme Mary-Jane: il n'en vaut pas la peine!

Enfin, si l'on peut reprocher un certain manque d'inspiration à Kevin Smith, puisqu'il a emprunté une bonne partie de l'histoire à Frank Miller, je pense au contraire que cela est voulu, et appliqué volontairement, afin d'amplifier encore, lors d'une relecture attentive, le côté "Xerox" de Mysterio, qui reproduit finalement exactement ce que le Caïd avait infligé à DD, avec beaucoup plus de majesté cependant, quinze ans plus tôt. Je crois également que cela a permis à Smith de montrer un Murdock capable de tirer des leçons de son passé, puisqu'ayant déjà vécu un moment similaire, il montre qu'il peut aujourd'hui assez aisément le surmonter.

 

Tout le potentiel d'un Murdock au bord du gouffre:

Si cette saga est, selon moi, l'une des meilleures jamais vécues par Daredevil, c'est que son scénariste a réussi à cerner de façon impressionnante le personnage de Matthew Murdock, son potentiel, et ses faiblesses, pour lui permettre de surmonter au mieux ses malheurs.

La narration du point de vue de DD est en effet le meilleur moyen que pouvait employer Smith pour lui faire faire le point sur sa vie, offrant par la même occasion au lecteur de pénétrer l'esprit perturbé de Matt, et toute sa psychologie. Les nombreuses réflexions mentales, les choix difficiles, ou les flash-backs dans la mémoire de Matt, montrent ainsi un personnage réaliste, qui comme Spiderman à ses débuts, est confronté en permanence aux petits problèmes de la vie, considérablement amplifiés par sa double-vie de héros. D'autant plus qu'il doit ici subir un véritable effondrement de sa vie, qui en rendrait fou plus d'un. Le personnage est d'ailleurs au bord du gouffre à plusieurs reprises, ce que traduit très bien l'excellent découpage de Smith, caractéristique de l'état mental de Matt: le découpage très hétérogène et mouvementé du début laisse ainsi la place dans le # 6, après la mort de Karen, à un hachage intensif de l'image: 16 cadres réguliers traduisant merveilleusement le déchirement de Matt.

Mais Kevin Smith, conscient du potentiel de Murdock, rompt vite avec cette image de désespoir, et montre en parallèle un héros fantastique aux pouvoirs réellement porteurs. J'ai ainsi souvenir d'un épisode des Défenseurs (publié dans Namor # 5 chez Arédit dans la collection Artimat SuperStar), dans lequel Daredevil plaçait le sort de la Terre dans le simple résultat d'un lancer de Pile ou Face! C'est grâce à son extraordinaire toucher qu'il avait pu décider du résultat, et ainsi sauver la Terre devant les yeux effarés de Doctor Strange et des autres héros! C'est ici la première fois depuis cet épisode écrit par Steve Gerber, que je vois un scénariste exploiter aussi bien les talents de Murdock. En effet, Daredevil arrive ici dans un extrême effort à trouver la fréquence d'un son strident et son origine malgré un état de perturbation extrême (# 3), il entend à travers un bâtiment les ordres donnés par Macabes (# 6), il repère le bruit de la batterie du costume de Mysterio malgré les bavardages incessants de celui-ci (# 7), ou encore sent le souffle de bébés à la maternité à travers les microvibrations de la vitre extérieure (# 8)! Smith exploite ainsi à merveille l'atout le plus intéressant du personnage et pourtant peu travaillé par le passé, montrant que DD, malgré sa cécité, n'est certainement pas un handicapé: "Parfois, j'oublie de faire l'aveugle au bureau. Faut que je fasse gaffe"!

Enfin, l'un des principaux aspects de Murdock, pas encore évoqué ici, est sa foi religieuse, celle-ci se révélant elle-aussi dans la saga une faiblesse, ici surmontée et transformée en force.

 

Foi religieuse: atout ou contrainte?

Dans tous ses travaux cinématographiques, Kevin Smith adore travailler sur la religion (tout particulièrement dans Dogma, où par exemple: le Treizième apôtre, non-reconnu car de peau noire, répond quand on lui demande s'il a rencontré Jésus: "Un peu que je le connais! Cet enfoiré me doit encore 100 balles!" !!). C'est pourquoi Kevin, au vu du contexte de Murdock, ne s'est pas gêné pour continuer.

Le christianisme prend en effet dans la saga une ampleur assez prenante, d'ailleurs l'histoire débute et s'achève au confessoir! Si le premier épisode présente énormément de fonds graphiques religieux, et si Kevin révèle enfin officiellement dans le # 4, le rapport maternel qui unit Matthew et Soeur Maggie, c'est pour mieux exploiter cet aspect du personnage de DD. De plus tout le début de la saga se place dans ce contexte, l'histoire se tramant d'abord autour de l'immaculée conception d'une jeune fille vierge, qui donne naissance à un enfant que certains nomment le Sauveur, et d'autres l'Antéchrist, porteur de l'Apocalypse. Si le bébé s'avère être, tout simplement, le produit d'une transplantation, à l'insu de la porteuse, il pose quand même à Murdock de gros problèmes de foi, qui suffisent à ébranler de façon impressionnante le personnage. La foi se présente alors comme l'un de ses reposoirs majeurs, et l'on peut remarquer que sa véritable reprise en main suit directement la confirmation de sa foi, à l'aide d'un conte prônant la piété. On peut dès lors en déduire l'importance de la religion dans le caractère du personnage, fils abandonné d'une nonne, et élevé dans le respect total de Dieu. Smith dénonce par là le conditionnement imposé par cette éducation chrétienne poussive, mais montre également cet aspect comme une force de caractère permettant d'affronter les épreuves, montrant là encore une ambiguïté certaine quant à la religion.

En outre, Smith profite de la saga pour dénoncer, comme à son habitude, certains aspects du christianisme. Ainsi, c'est d'abord Mephisto, pourtant représentatif du Diable dans l'univers Marvel, qui semble, dans le # 5, rigoler du christianisme, en s'amusant à enseigner le catéchisme à DD! De même, Mysterio, qui qualifie les croyants d'illuminés, offre au lecteur une bonne vision de la démence fanatique: en droguant Daredevil, il le pousse à des moments de rage religieuse incontrôlable, lui faisant montrer une sorte d'extrémisme détestable, de véritable fanatisme, que l'on peut immédiatement qualifier de folie. On peut également remarquer une caricature prononcée de certain propos extréme du Pape, prononcé il y a maintenant quelques années, quand Matt fait comprendre à Karen que sa séropositivité est entièrement sa faute, que c'est le résultat [et la punition divine...] de ses pêchés passés (# 4).

Smith profite donc de cet aspect religieux de Daredevil pour continuer son exploration du monde religieux, et plus particulièrement son analyse de la foi, analyse qui se poursuit avec le personnage de Karen Page, peu croyante, et "pécheresse" prononcée.

 

Smith tourne la [Karen] Page:

Alors que cette saga était déjà d'une qualité indéniable, Kevin Smith a décidé de marquer un grand coup, en infligeant à Daredevil la perte d'un second être cher, en la personne de Karen Page, dont le décès constitue certainement le plus grand évènement Daredevilien de la décennie à venir.

En effet, Karen était l'un des plus vieux personnages secondaires du Marvel Universe, puisque comme Foggy Nelson, elle était apparue, avec Daredevil, dans DD # 1 en 1964. A l'instar de Tante May pour Spiderman, Karen faisait également partie de ces seconds rôles ayant très fortement joué dans l'histoire du héros, puisque non contente d'avoir été sa petite amie à plusieurs reprises, elle a aussi été à l'origine des pires difficultés de Murdock, lorsqu'elle a révélé sa double-identité au Caïd. C'est donc une chose plutôt rare, surtout quand on connaît le protectionnisme de Marvel, que s'est vu autorisée Kevin Smith. Mais dans quel intérêt?

Smith va s'appliquer dans toute la saga à justifier son "meurtre", présentant petit à petit Karen, comme indigne de poursuivre une vie, déjà particulièrement pénible. Entre son rôle de petite secrétaire à ses débuts, sa carrière dans le porno, sa chute dans la toxicomanie, et sa trahison de l'homme qui la valorisait le plus, on peut dire que Karen porte plutôt bien sa ceinture Everlast (Toujours dernier) dans le # 3. Et si Kevin fait à plusieurs reprises un bref bilan de sa vie, c'est pour insister à chaque fois sur ces différents points, montrant bien que, même si elle s'est aujourd'hui rangée comme animatrice de radio, elle a définitivement atteint le bout. Smith en profite alors pour s'amuser d'elle, surprenant le lecteur, et préparant le terrain, en la proclamant, faussement d'ailleurs, séropositive (à la fin du # 2), pour la mener petit à petit jusqu'à sa funeste fin.

Par ailleurs, Karen, qui est déjà l'objet du commencement de la saga, celle-ci débutant sur un Matt désespéré devant sa lettre de départ, est en fait également, mais indirectement, la cause des problèmes de Matt dans l'histoire, puisque Mysterio a pu agir grâce aux renseignements du Caïd, lui-même informé grâce à Karen par le passé. Smith clôt donc par sa mort la longue série des interminables problèmes de Murdock, Karen disparaissant cette fois pour de bon.

Malgré tout, Smith lui accorde quand même, fort heureusement, une mort honorable, en parfaite opposition à celle, vide d'honneur, de Mysterio. En effet, c'est après avoir tenté de sauver le bébé qu'elle meurt, tout en protégeant Matt du tir qui lui était adressé. De plus, Smith convie à son enterrement un joli petit monde dont ses créateurs: Stan Lee et Bill Everett, de même que Frank Miller. Murdock annonce également qu'aucun mot ne suffira à lui rendre honneur, et lui légue un dernier hommage en nommant le bébé Karen.

Cette mort, si elle plonge Matt dans un sérieux désespoir, lui est aussi paradoxalement, plutôt bénéfique, puisqu'elle est le véritable déclencheur de son relaunch, lui offrant véritablement un nouveau départ.

 

Un relaunch mené avec talent du début à la fin:

Lorsque Joe & Jimmy ont proposé à Kevin d'écrire le recommencement de Daredevil, celui-ci a bien compris qu'il lui fallait permettre au héros de prendre un véritable nouveau départ. Il doit donc le sortir des nombreuses impasses créées par le passé, lui offrir de nouvelles directives, et modifier fondamentalement ses différents rapports avec son entourage.

Pour ce qui est de l'entourage, les nouveautés sont flagrantes, et menées de main de maestro. Premier point, et pas des moindres, sa mère est enfin identifiée en la personne de Soeur Maggie. Ensuite, son amitié avec Foggy Nelson est mise à rude épreuve, et véritablement confirmée par l'incarcération de celui-ci, Matt allant jusqu'à quitter son cabinet d'avocat pour pouvoir défendre son ami. De son côté, Foggy prend lui aussi un nouveau départ, puisqu'il perd sa relation avec Liz Osborn (la veuve d'Harry Osborn, et belle-fille du Bouffon Vert). Murdock va également, sur les conseils de la Veuve Noire, se découvrir un tout nouveau rapport aux femmes: après la mort de l'un de ses plus grands amour en la personne de Karen, il va rompre (pour le moment du moins) avec son rôle de tombeur. On assiste d'ailleurs à la renaissance d'une relation avec Black Widow, dans des termes purement amicaux, cette dernière se retrouvant, après les morts successives d'Elektra et de Karen, la plus ancienne ex de Matt, et sa plus grande confidente (à ce propos, méfiez-vous madame la Veuve, vos fréquentations sont dangereuses, et d'ici à ce que dans dix ans, DD subisse un nouveau douloureux relaunch du fait de votre mort, il n'y a qu'un pas...).

Par ailleurs, la vie de Murdock prend réellement un nouveau départ. La double-page finale au # 8, similaire à celle du # 1, avec l'espoir au visage en plus, montre bien ce renouveau. C'est également Karen qui, avec sa mort offre à Matt une nouvelle voie: psychologiquement d'abord, puisque la contrainte physique et mentale de Karen ne l'astreint plus, mais aussi matériellement car elle lui lègue en héritage une jolie petite fortune, avec laquelle Matt va créer de nouveau son propre cabinet d'avocats, en compagnie de son ami de toujours: Nelson & Murdock, ce qui le sort là aussi des contraintes, imposées auparavant par la mère de Foggy, dans le cabinet Sharpe.

D'ailleurs David Mack poursuivra dans cette voie par la suite, remettant Matt à son piano, et créant un nouveau personnage (Echo, à droite), qui accuse un renouveau scénaristique bien agréable. Enfin, signalons que Smith, grand amateur des comics du Silver Age, offre à DD sa relance, par l'intermédiaire d'un bon ami de Matt, qui a du renouer avec la vie de façon similaire, après un autre drame: la mort de Gwen Stacy pour Spiderman.

Smith a donc mené avec majesté ce relaunch de DD, lui offrant à lui, mais aussi à Bullseye, Black Widow et l'entourage de Murdock une véritable nouvelle vie. Il en a profité également pour boucler de façon (pas toujours) définitive le destin de Mysterio et Karen Page.

 

Signalons enfin, en guise de conclusion, que le deuxième cycle de Daredevil, toujours dessiné par Joe Quesada, mais sur un scénario de David-Kabuki-Mack, est lui aussi excellent, et mérite à ce titre toute votre attention. Bonne lecture donc.

 

Nota Bene: Cet article est reproduit dans le magazine Swof n° 29

 

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